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Lyon, nouvelle terre de bières

Publié le 11/06/2024

Avec 280 brasseries et microbrasseries, dont 160 artisanales, la région Auvergne-Rhône-Alpes est celle où l'on brasse le plus de bières en France. A Lyon, tout a (re)commencé à la fin des années 1990 avec l'arrivée du Ninkasi et depuis, pas de doute, ça mousse fort.

par Véronique Lopès.

Fin avril 2024, ils étaient plus de 8000 à pousser les portes du Lyon Bière Festival, le plus grand rassemblement tricolore de professionnels et d’amateurs de bières pour découvrir les dernières tendances, les nouveaux acteurs du secteur et les breuvages inédits. Un succès qui surprend encore son programmateur, Nicolas Dumortier, cofondateur de Bieronomy : « On a commencé avec 30  brasseries en  2016. Aujourd’hui, nous sommes à 103 brasseries sur 4000 m2 », raconte celui qui n’a de cesse de dénicher de nouvelles pépites.

Aux origines de l’événement, on retrouve le plus célèbre brasseur de la ville: Ninkasi. Aujourd’hui dotée d’une vingtaine de restaurants (principalement dans l’agglomération, dont Oullins et Lyon-Cordeliers parmi les derniers implantés) et d’une brasserie à Tarare, l’enseigne voulait fédérer les acteurs de la filière en créant un rendez-vous annuel à Lyon. La mayonnaise a pris doucement mais elle a fait naître des vocations au point de transformer le paysage brassicole lyonnais, désormais très riche.

La Canute Lyonnaise, par exemple, va bientôt fêter ses dix ans. Son histoire singulière, sa diffusion dans les bars et restaurants de Lyon, les anecdotes que raconte chacune de ses bières en ont fait un incontournable. «On met Lyon en bouteille. Chaque bière porte le nom d’un quartier, d’une rue, d’une personnalité en adéquation avec son histoire», détaille sa cofondatrice, Anne-Pauline Fernier. Ainsi, la bière du Vieux-Lyon, brune, fait écho à l’ancienne «noire de Lyon» jadis servie dans les tavernes de Saint-Paul quand la bière blanche de Grange-Blanche fait référence au passé de grenier à blé du quartier... «Ce sont des clins d’œil, parfois sérieux, parfois plus légers, qui mettent le sourire aux lèvres», lance la cheffe d’entreprise.

À déguster sur place… ou à emporter

Même amour du houblon, autre circuit de distribution chez Nomade Brewery fondée en  2016. Lauriane Buisson et Sam Aspin, doctorants en chimie, ont commencé petit en ouvrant un bar, rue Paul-Bert (Lyon  3e) afin de vendre en direct leur production. « Aux États-Unis et en Amérique du Sud, tous les brasseurs ont des taprooms (salles de dégustation) pour vendre en direct. C’est pour cela que fin 2019, on a emménagé à Genas dans un local assez grand pour accueillir du monde tous les jours », explique Lauriane, ravie du succès de leur bar, pourtant situé dans une zone d’affaires en périphérie de Lyon. Dans le même esprit, citons le beer garden de Christian, fondateur de la microbrasserie de Montchat, qui accueille ses clients les jeudis et vendredis en fin de journée ; la brasserie Caribrew à Soucieu-en-Jarrest, et la toute nouvelle brasserie Amalthée à Lamure-sur-Azergues qui dispose d’un bar associatif, L’Engrenage, et d’une grande terrasse avec vue sur le jardin et les cuves. À Lyon, le plus grand brewpub, un concept venu d’Amérique du Nord qui fusionne dans un même lieu microbrasserie, bar et restaurant, est le Malting 
Pot. Depuis son ouverture en  2016, Andéol Ayzac a déjà brassé 70  bières différentes, consommées dans un grand jardin à l’arrière du bar. Citons aussi la brasserie Platypus à Perrache, la Brasserie de l’Amour à Villeurbanne et Drôle d’Oiseau, le petit dernier installé à Garibaldi. 
Le malt qui cache la maison. Les bières, y compris artisanales, se consomment en effet de plus en plus à domicile. «80 % de la bière s’achète en grandes et moyennes surfaces», constate Christophe Fargier, fondateur de Ninkasi, qui met les bouchées doubles depuis cinq ans pour intégrer les rayons des supermarchés de France. Même les plus petites brasseries font le choix de s’y implanter. C’est le cas des bières Georges, brassées par La Fabrique du Faubourg à Vénissieux, qui 
ont une gamme dédiée aux bars et une autre aux grands magasins. Les bières bio de Nomade Brewery sont disponibles chez Biocoop, celles de la Brasserie Dulion ont intégré les étagères des boutiques bio de la région tout comme les Bières bio des monts d’Or.

Houblon et plus si affinités

La filière ne fait pas seulement preuve d’imagination côté distribution. Pour fidéliser et séduire de nouveaux consommateurs, les brasseries se diversifient. 
Ninkasi, encore lui, a ouvert la marche dès 2018 avec un premier whisky puis un gin, une vodka et un cidre. La Canute possède également un whisky très confidentiel, disponible à la brasserie uniquement. Mais le truc du moment, ce qui fait bouger les brasseurs, c’est la tendance «Nolo» pour no alcohol et low alcohol. Comprendre la création de boissons peu ou non alcoolisées. Les Bières bio des monts d’Or ont ainsi lancé trois softs sous le nom de Green Bulles bio. La microbrasserie de Montchat prépare actuellement sa gamme de softs, tout comme Dwyn (acronyme de Drink what you need): «Les limonades et kombuchas sont de bons compléments de gamme et les gens sont en demande de boissons moins alcoolisées», constate Maximilien, cofondateur de la jeune brasserie brignairote, ouverte il y a moins d’un an. Moussera, moussera pas… Voilà en tout cas une chouette manière de varier les plaisirs à l’heure où revient – enfin – l’apéro au soleil.

Capitale des gones et de la bière 

À Lyon, la bière coule à flots depuis le Moyen Âge mais la grande histoire d’amour entre la ville et la pinte a commencé vers 1750 lorsque Christophe Bechtel, d’origine bavaroise, décide d’ouvrir sa brasserie sur les bords du Rhône pour y puiser son eau, très pure. Il brasse une bière brune : la «noire » de Lyon. Son succès est immédiat. Il ouvre une taverne et fait rapidement venir des brasseurs de Bavière pour l’aider dans l’expansion de son activité. 
Au XIXe siècle, de nombreux Alsaciens s’installent à Lyon et montent des brasseries dans tous les quartiers. Parmi eux, Georges Hoffherr s’installe à Perrache. Il ouvre la Brasserie Georges en 1836, proposant à ses clients de se restaurer avec un plat typiquement alsacien: la choucroute. Lyon est alors la capitale de la bière en France, devant Strasbourg ! 
La Seconde Guerre mondiale sonne le glas du houblon. Les usines ferment les unes après les autres et plus aucun brassin ne sort de Lyon intra-muros. 
Il faudra attendre la fin des années 1990 pour voir renaître, de manière confidentielle, l’activité chez une poignée de brasseries artisanales à l’image du Chantecler (devenu le Chanteclair) à la Croix-Rousse puis de Ninkasi qui a véritablement rallumé la flamme de la bière dans le cœur des Lyonnais.

Trois questions à Thibault Schuermans 

Passionné par la bière, Thibault Schuermans en a fait son métier. Diplômé de l’Institut Lyfe, le Lyonnais est devenu zythologue en 2016. Il accompagne depuis les restaurateurs dans leurs accords mets et bières.

Qu’est-ce qui a contribué à l’essor des brasseries artisanales ?

« La bière est un produit convivial et fun, qui a attiré beaucoup de personnes en reconversion. Les brasseurs se sont professionnalisés, brassant tous styles de bières. La France a la chance de ne pas avoir un lourd héritage de ce côté donc la scène créative est très vivante. Elle va de plus en plus loin. Quant aux consommateurs, ils sont toujours en demande de nouveautés, ils ont envie de continuer à goûter et à mieux comprendre la bière. 

Pourquoi à Lyon, plus qu’ailleurs, la bière a un tel succès ?

Lyon a mis du temps à démarrer par rapport à d’autres régions, sûrement à cause de notre attachement au vin, mais aujourd’hui beaucoup de brasseurs sont bien implantés et travaillent très bien. Je pense que c’est lié au travail des bars à bières comme Berthom ou Boston Tavern qui ont mis des bières lyonnaises sur leurs becs. Il y a quelques années, tout le monde privilégiait les bières françaises, mais maintenant, on a même franchi le cap de l’ultralocalisme, ce qui est très positif. Le leitmotiv des bars est d’aller chercher la qualité au bout de leur rue. Cela montre aussi que le professionnalisme des petits brasseurs paye.

Est-ce que les brasseurs lyonnais ont une particularité ?

Toutes les régions françaises ont une histoire avec le vin et les brasseurs composent avec cet univers. Je pense que ça les pousse à faire des bières plus pointues. Souvent, en plus de leur gamme “classique”, ils imaginent des bières plus fines, plus gastronomiques. C’est le cas chez Nomade Brewery, Les Danaïdes, Mappiness ou La Canute.

Il y a quelques années, les IPA ont envahi le marché ; aujourd’hui, quelles sont les dernières tendances ? 

Les IPA continuent de séduire et se démocratisent. Mais ce que l’on note, c’est que beaucoup de brasseries se lancent dans les sour, des bières aux fruits avec une acidité.

Quels sont vos derniers coups de cœur chez les brasseurs lyonnais ?

La Gonerie de Mappiness, une lager amère et très désaltérante. Il y a aussi toute la gamme Les Saisons des Danaïdes, un style de bières assez sèches, poivrées, aux notes citronnées. Pour les accords mets et bières, elles permettent de contrebalancer les plats un peu trop riches ou sucrés. J’ai un faible pour leur Saison de Bourgogne, une bière assez sèche et épicée, vieillie en barrique de Bourgogne. Enfin, il y a les bières de La Brasserie de l’Amour, notamment la Rouge des Flandres. »

Où boire une bonne bière à Lyon ?

Slice – Pizza shop & craft beer

Avec sa part de pizza géante dont sortent six becs de bières, ses boules à facettes au plafond et ses néons, Slice est la nouvelle adresse où prendre une bière et une belle part de pizza à la new-yorkaise. La sélection de bières artisanales est faite par Johan, fondateur de la cave 20000 Lieues sous les Bières, de Barcandier et du festival de bières Bibine – qui aura lieu à la rentrée –, et c’est pointu.

Slice – Pizza shop & craft beer
21 grande rue de la Guillotière, Lyon 7ème

La Kave Maltée

Véritable remède contre l’ennui, ce bar, qui fait aussi de très belles assiettes à picorer, propose toujours dix bières artisanales à la pression et une bonne cinquantaine en bouteilles ou canettes. 

La Kave Maltée
81 rue Louis-Blanc, Lyon 6ème

Orgao

Plus qu’un bar à bières, Orgao s’impose comme un lieu de dégustation et de découvertes. Derrière les 12 becs de pression, Sam parle de chacune des bières qu’il propose avec passion. Et pour ceux qui voudraient repartir avec leurs bières préférées sous le bras, Orgao remplit sous vide des growlers (bouteilles en plastique recyclable) d’un litre qui peuvent se garder trois semaines au frais. 

Orgao
145 rue Sébastien-Gryphe, Lyon 7ème

Vivants

Impossible de savoir à l’avance quelles bières seront proposées dans ce petit bar alternatif de la Presqu’île. Dorian va dénicher des fûts de bières aux quatre coins de France et parfois même plus loin, comme aux États-Unis. Une adresse pour les amateurs de découvertes.

Vivants
26 rue Neuve, Lyon 2ème

The Holy Hop

Tellement nouveau que l’on n’a pas encore eu le temps de tester mais impossible de ne pas vous signaler l’ouverture du premier beer spa de Lyon. Pour chaque session, privative, on s’immerge dans un bain d’eau auquel on ajoute houblon, levure de bière et malt, tout en trinquant à la bière grâce à la tireuse installée sur place (un litre par personne par session). Un lit de repos en paille et un sauna complètent les lieux. Planches apéritives. 
69 € l’heure en solo, 109 € en duo.

The Holy Hop
6 rue Ferrachat, Lyon 5ème

Dr Yeast

Sur le plateau de la Croix-Rousse, c’est la référence pour les amateurs de houblon depuis 2019. Avec ses 30 becs de pression, il y a de quoi satisfaire les novices comme les aficionados, et en plus, les petits plats qui sortent des cuisines valent le détour. Tout comme le lieu avec ses grandes colonnes et son plafond canut.

Dr Yeast
6 rue de Cuire, Lyon 4ème