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Yanka, rappeuse à l'air libre

Publié le 05/06/2025

Elle a d’abord fait danser les scènes underground de Lyon jusqu’au petit matin. Depuis quelques années, la DJ et photographe lyonnaise Yanka trouve sa voix à travers un rap sans concession. Jusqu’à conquérir les grosses scènes des festivals et les playlists des plateformes avec ses textes engagés et ses mélodies qui font bouger. Rencontre solaire avec une couche-tard qui ne quitterait sa ville pour rien au monde.

Par Mathilde Baugé

Yanka est un nom de scène, celui d’une DJ, mais aussi d’une rappeuse. D’où vient-il ?

« C’est russe. Il y a quelques années, dans un festival, je me suis retrouvée à voir un film sur la musique punk au temps de l’URSS. Il y avait une fille qui s’appelait Yanka, la seule d’un groupe de mecs. Faire du punk là-bas, à l’époque, c’était interdit, ils étaient donc souvent arrêtés mais elle a réussi à échapper à l’armée. À un moment, elle est partie en Sibérie faire son album et n’est jamais revenue. Le mythe veut qu’elle se soit suicidée mais tout le monde sait qu’elle a été tuée parce que c’était une rebelle. Cette histoire m’a complètement happée et je me suis dit que ce n’était pas possible de ne rien faire de ce nom-là. Je l’ai repris, pour lui faire honneur. Je ne fais pas du punk, mais mon intention reste punk. Le rap et le punk revendiquent la même chose. » 

Ce goût pour les contre-cultures est-il lié à votre histoire avec Lyon ?

« Je suis lyonnaise, j’ai grandi dans le 8e  arrondissement à Mermoz-Pinel. J’en garde de très bons souvenirs, c’était très multiculturel, très mixé. On faisait plein de sorties culturelles, j’ai le souvenir d’une enfance assez belle. On faisait beaucoup de vélo sur les parkings, on traînait à la MJC, dans les skateparks ou autour de la friche RVI. C’étaient mes premiers pas vers la culture hip-hop, j’avais des potes qui graffaient là-bas et j’ai eu accès à tout ça très tôt. » 

La musique, le rap, ça a toujours été une évidence?

« Oui. Tout le monde écoutait du rap autour de moi, mon grand frère aussi. Il avait des vinyles qu’il scratchait dans sa chambre, j’ai grandi dans cet univers. À l’époque, j’enregistrais Skyrock sur des K7, j’avais un micro et je présentais des morceaux avec mes paroles d’enfant. Pareil pour les anniversaires, je mettais un temps fou à sélectionner des CD à la Fnac pour animer mes soirées. J’étais déjà DJ (elle rit), je kiffais faire plaisir aux gens, qu’ils dansent sur de la bonne musique. Mes parents écoutaient plus du rock genre Pink Floyd ou The Doors. On avait plein de disques à la maison et énormément de bouquins. Ils sont passionnés d’art et de musique, j’ai eu la chance d’avoir un vrai bagage culturel en héritage. »

Mon univers est celui d’un féminin qui échappe à tous les codes.

Suivre une voie artistique n’a pas dû poser trop de problèmes alors ?

« Non, même si j’ai suivi un parcours plutôt classique par la suite. À l’origine, ce qui me passionnait, c’étaient les sciences humaines et sociales, et c’est d’ailleurs toujours le cas. J’ai une licence de psychologie et d’anthropologie, j’ai étudié le cinéma et la photographie à l’université Lyon 2, je suis partie un an à Avignon pour un master de médiation culturelle, puis je suis revenue à Lyon pour faire une école de photo. C’était vraiment ça mon truc au début. J’ai toujours écrit, mais je n’osais rien en faire, alors je me suis plongée dans la photographie documentaire de mes 17 ans à mes 30 ans. »

Vous avez beaucoup travaillé sur l’adolescence, l’urbanisme… Votre série en noir et blanc, Champs de béton, a d’ailleurs été publiée dans le premier numéro de Chabe!, une revue consacrée à la photographie lyonnaise. Comment est-elle née ?

« Elle a été réalisée avec des ados que j’ai accompagnés pendant deux ans à la Duchère. J’animais avec eux des ateliers d’écriture rap et de photographie. Ils n’avaient pas tous les moyens d’acheter un appareil photo alors j’ai démarré au reflex, pour leur montrer comment écrire avec la lumière, puis j’ai basculé sur le téléphone pour qu’ils comprennent qu’ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient. Le principal, c’est l’histoire qu’on raconte. Comme je leur donnais aussi des cours d’écriture et que je les encourageais à rapper, ils ont monté un collectif qui a bien tourné, on a même enregistré un album, c’était super. Un jour, ils m’ont dit: “Mais pourquoi tu ne te lances pas?” »

Le déclic est venu d’eux ?

« En partie. Il y avait aussi le collectif Hip-hop féminin que j’avais monté en parallèle, quand j’ai commencé à ne passer que des artistes femmes dans mes programmations de DJ. J’ai quitté peu à peu la photo et je me suis mise à faire les DJ sets de fin de soirée après des concerts de rappeuses. Ça m’a donné confiance de les voir, de comprendre comment cette économie-là fonctionnait. Je me suis dit pourquoi pas, et j’ai senti la force de rapper à mon tour. Plus tard, ma rencontre avec le producteur King Doudou, qui travaille aussi bien avec des artistes locaux qu’à l’international (PNL, Freeze Corleone, Laylow, NDLR), a marqué un tournant. Il m’a tout de suite chopée en me disant : “Il y a quelque chose chez toi, il faut en faire des tubes (rires)!” »

Pourquoi est-ce aussi compliqué de percer dans le rap en tant que femme ?

« Je pense que la difficulté est dans la musique tout court. Le sexisme et la misogynie concernent tous les arts et tous les genres musicaux. Dans le rap, c’est un peu moins caché car on a tendance à tirer davantage sur les minorités, et c’est un art de minorité par excellence. Tu n’as besoin de rien d’autre que du rythme, de la poésie et d’un micro. À la base, si tu n’as pas de moyens, le rap t’appelle. Moi, il m’a appelée très tôt. On a tendance à plus tirer sur le rap car il véhicule des images ultrastéréotypées des femmes dans les clips mais, finalement, il ne fait que répéter un truc qui existe déjà dans la société. Après, dans le milieu techno et électro, j’ai aussi croisé des mecs très à l’aise qui mixaient depuis seulement quatre mois, là où moi, à chaque date, je me demande si je suis 
légitime. Ce que je trouve très beau dans le rap des rappeuses, ce sont justement leurs paroles hyper tranchantes sur les injustices sociales et le sexisme. C’est le rap qui me parle. »

Vos premières scènes étaient plutôt confidentielles, dans des lieux alternatifs, et puis l’année dernière, vous avez partagé l’affiche de Woodstower avec Booba et retourné la scène principale du festival Reperkusound en mars. Comment s’est opérée cette transition ?

« Je faisais du son avec d’autres artistes, ça marchait bien, on a sorti Ça dit quoi, un premier EP indépendant, et on a vu qu’on pouvait apparaître dans des playlists sans label, ce qui est exceptionnel. Normalement, il faut payer ou au moins avoir un attaché de presse! Grâce à Hugo 
(King Doudou, NDLR), j’ai été légitimée et repérée comme une rappeuse d’avant-garde. Un soir, à 23h, je suis tombée sur le dépôt de candidature du Ninkasi Musik Lab, avec une deadline pour le lendemain. J’ai envoyé mon dossier à l’arrache, plein de fautes d’orthographe, mais ça m’a fait du bien. J’ai réalisé que j’avais envie de rapper, d’avoir un live complet, un disque de 13 titres. Ils m’ont prise et mon plateau a été calé sur de grosses dates. Ça m’a complètement dépassée. »

Quel morceau de votre dernier disque, BBVNR, vous touche particulièrement ?

« Tendresse et Drama est un peu plus “émo” et sentimental. Il parle de mes sorties nocturnes à Lyon, de mon errance, de la tendresse dans certaines soirées, des agressions parfois. Ça parle de ma vie d’artiste, d’être hyper entourée mais aussi hyper seule. Porter cette solitude, c’est quelque chose, et je voulais faire un morceau où l’on danse sur cette solitude. » 

C’est aussi celui d’un beau clip, presque cinématographique. À quoi ressemble l’univers Yanka ?

« Cet univers est celui d’un féminin qui échappe à tous les codes, qui est très fluide au niveau du genre, sincère, brut, dans une recherche d’avant-garde et de nouvelles sonorités. C’est aussi un univers politique car nous sommes des êtres politiques et je ne peux pas y échapper. Mon corps est politique, mon genre aussi, et en plus, je fais du rap, donc je veux parler de tout ça. Il y a beaucoup d’amour dans ce que je revendique. Ce que je peux oser dire de façon provoc’ fédère, et fédérer, ça 
rassemble. » 

Lyon, j’en ai fait mon terrain de jeu !

Quelle image avez-vous de Lyon ? On la dit souvent trop sage et bourgeoise; or, la culture avant-gardiste y est bien vivante, non ?

« En tant que Lyonnaise, mon regard est multiple. Quand je vais mixer dans d’autres villes, je mesure cette image que l’on se fait des Lyonnais froids, bourgeois et catholiques. Il y a cet héritage-là, c’est 
la vérité, mais comme dans toutes les grandes villes finalement. Je vois aussi beaucoup de militantisme et d’associations qui défendent des valeurs solidaires. Il y a énormément de quartiers multiculturels et de banlieues qui ramènent un rap d’avant-garde de fou! Quand j’écoute les jeunes 
des Minguettes, de Vaulx ou de la Duchère, il y a beaucoup de new school avec des recherches musicales hallucinantes. Lyon, j’en ai fait mon terrain de jeu. Je kiffe ma ville. Je la trouve super belle, il y a de tout au niveau architecture et d’un point de vue culturel, ça bouge énormément. Plus tard, je me vois toujours habiter à Lyon. Je n’irai pas à Paris, même si tout le monde me dit d’y aller. » 

Biographie

Dans son ensemble sportswear jaune sur fond bleu, on ne voit qu’elle. C’est limite si Yanka ne ferait pas concurrence au soleil, pourtant éclatant le jour de notre rencontre. Née Héloïse Rochette en 1990, la rappeuse lyonnaise de 34 ans a d’abord commencé par passer des disques en soirée. « J’ai dû faire plus de 200 dates en tant que DJ », dénombre-t-elle. D’abord dans de petites salles du milieu underground, auquel elle est très attachée, avant de côtoyer les têtes d’affiche des gros festivals lyonnais, de Nuits sonores à Woodstower en passant par Reperkusound. Qu’elle mixe ou qu’elle rappe, Yanka ne s’interdit rien. Ni les sonorités pointues, ni les refrains qui sonnent tubes, ni les mots crus, ni la vulnérabilité. Résultat : elle fait danser et marrer tout le monde en dénonçant au passage les inégalités. De son enfance dans le 8e arrondissement de Lyon, elle a gardé le goût des autres et des cultures alternatives, graff, breakdance et hip-hop en tête. Photographe pendant près de 15 ans, Yanka fait référence dans sa musique à des figures de femmes fortes. Figures de madones, Agnès Varda ou Virginie Despentes figurent ainsi parmi ses idoles. Après la sortie de son dernier EP BBVNRen avril, un album est en préparation pour début 2026. D’ici là, on la retrouvera le 13 juin prochain sur la scène du Théâtre Antique de Vienne avec Hugo TSR et la Fonky Family. « Un rêve d’ado. Si on m’avait dit ça à 14 ans… », sourit-elle. Elle pourrait bien leur faire de l’ombre.

Ecouter Yanka

Carnet d'adresses de Yanka

Le Sonic 
« Un lieu anthologique de Lyon. Il y a tout sur cette péniche, du punk, du rap, des soirées LGBT… Mais la situation est compliquée, ils doivent gérer des travaux importants et sont menacés de couler. » 
4 QUAI DES ÉTROITS, LYON 5e
Les quais de Saône
« J’adore, surtout vers l’hôtel de ville. J’y ai fait mes premiers open mics quand j’étais ado. Ma ville à moi aujourd’hui, c’est le 9e arrondissement, entre Vaise et l’île Barbe. »
Actuel
« J’en parle dans un de mes textes. Quand j’habitais à Guillotière, j’y allais tout le temps. Le café est à 
1,50 euro, à la bonne franquette. J’aime bien les choses simples avec de vrais humains derrière, sans chichis. » 
3 COURS GAMBETTA, LYON 3e
Le jardin du musée des Beaux-Arts
« L’endroit où je me sens le plus sereine. Je me prends un petit café à emporter et j’adore aller dessiner ou écrire là-bas. » 
20 PLACE DES TERREAUX, LYON 1er
Les Clameurs
« Ils font des plats avec des produits locaux en circuit court. En fonction de tes moyens, tu payes entre quatre et huit euros, il y a une terrasse et c’est en plein cœur de la Guill’, j’adore. » 
23 RUE D’AGUESSEAU, LYON 7e