
©
Yannick Anselme
The Ink factory Lyon - Tattoo Exhibition Art
Foire ou salon
20 place Docteurs Charles et Christophe Mérieux - 69007 Lyon 7èmeEn savoir plus
Forte de ses nombreuses écoles d'Art et d'une convention internationale automnale The Ink Factory, reconnue parmi les meilleures du pays, Lyon s'est progressivement imposée comme l'une des places fortes du tatouages en France. Enquête à l'encre vive.
Par Mathilde Beaugé.
Recouvrir une cicatrice. Marquer une étape de vie. S’offrir la folie d’un coup de tête. Faire de son corps une œuvre d’art. Les raisons de passer sous le dermographe sont (presque) aussi nombreuses que les salons de tatouage à Lyon. Avec 85 établissements recensés, la troisième ville de France affiche une belle concentration d’artistes tatoueurs… Rien d’étonnant lorsque l’on sait que près d’un Français adulte sur sept est tatoué, un ratio qui monte à un sur quatre chez les moins de 35 ans(1) !
On compte plus de tatoueurs au mètre carré qu’à Paris !
Pas de doute, il semble loin le temps où le tattoo était réservé aux durs à cuire, marins, taulards et autres bikers sans attaches. Il se dévoile désormais fièrement, en pièce imposante ou par petite touche discrète, devenu aussi commun qu’un simple bijou. Il suffit d’ailleurs de se balader dans le centre-ville pour trouver des shops à tous les coins de rue, des Méandres (Lyon 1er) à My Body Art (Villeurbanne et Lyon 1er) en passant par Biribi (Lyon 7e), Dysmorphic ou Artribal (Lyon 1er).
« On compte plus de tatoueurs au mètre carré qu’à Paris », souligne Édith Lake, fondatrice du salon La Sirène à Deux Têtes (voir son portrait plus bas). « Le fait qu’il y ait beaucoup d’écoles d’art, les Beaux-Arts, les écoles d’arts appliqués et Émile-Cohl n’y est pas pour rien. La scène tatouage à Lyon est vivante et foisonnante », se réjouit la tatoueuse.
(1)Source Ipsos, 2020.
Du 19 au 21 septembre prochain, la ville accueillera à la Halle Tony-Garnier la sixième édition d’une des plus grandes conventions internationales de tatouage: The Ink Factory. 35 nationalités représentées, jusqu’à 15000 visiteurs attendus, des centaines de tatouages réalisés sur place, mais aussi des concerts, des expos… S’il ne devait y avoir qu’un seul bain dans lequel plonger pour découvrir la culture tattoo, ce serait celui-là.
« C’est un salon pour tout le monde et l’endroit idéal pour une personne non tatouée qui a envie de mieux connaître ce milieu. On peut discuter avec les tatoueurs, les observer travailler et faire son choix plus facilement », invite Téo Milev, tatoueur depuis 25 ans et créateur de ce rendez-vous en 2018 (voir son portrait plus bas). D’origine bulgare, il a posé ses valises rue Vendôme (Lyon 3e) et s’est spécialisé dans le réalisme noir et gris. Sa pièce la plus folle ? Un corps entier qui lui a demandé 450 heures de travail, réparties sur cinq ans.
Sans aller jusqu’à de tels extrêmes, encrer sa peau est aussi devenu le symbole d’une époque. Comme une ultime manière de se démarquer ou de se reconnecter à soi. « J’ai dû subir une opération après un accident. Je vivais mal mes cicatrices et passer par le tatouage m’a permis de mieux traverser cette épreuve et d’accepter à nouveau mon corps », raconte Marie, 30 ans, dont l’avant-bras est désormais intégralement recouvert de fleurs.
« Je trouve intéressant que la personne ait à prodiguer un soin pour que sa peau cicatrise. On panse ses blessures, c’est un moment de résilience. Le tatouage rend visible un changement intérieur, un changement de vie », confirme Édith Lake. Si elle envisage sa pratique avec beaucoup de douceur, c’est aussi pour prendre le contrepied d’une culture traditionnelle du tatouage historiquement très virile et parfois brutale. D’ailleurs, la féminisation progressive du métier pourrait en partie expliquer l’explosion du tatouage ces dix dernières années.
Si l’on en croit une étude Ifop menée en 2018, le tattoo concernerait désormais une personne sur cinq en France, parmi lesquelles 20 % de femmes. Au sein de ces personnes tatouées, tous genres confondus, environ 20 % regretteraient leurs tatouages selon une étude du Haut Conseil de la santé publique. Dans les raisons invoquées, une envie passagère qu’on n’assume plus, un dessin raté ou encore un comportement inapproprié au moment du tattoo qui rend l’expérience éprouvante. « Quand je suis allée aux toilettes au milieu de la séance et que j’ai vu mon reflet dans le miroir, j’ai flippé. Je n’étais plus du tout sûre de vouloir continuer et il m’a fallu du temps pour l’accepter ensuite », raconte Lucie à propos d’un serpent sur le bras qu’elle a même hésité à faire disparaître dans une clinique de détatouage comme Dermo Laser ou Ray Studio (comptez de 60 à 400 euros la séance selon la taille).
Pour éviter le drame, reste le tatouage éphémère au gel de jagua. Hypoallergénique, il reste jusqu’à deux semaines sur la peau. « On le laisse poser trois heures, puis on le retire avec de l’eau. Comme un dessin magique, il réapparaît au bout de 12 heures », explique Ginger Hell (voir son portrait plus bas) qui propose cette option dans son salon de la Croix-Rousse.
Pas vraiment décidé à marquer votre peau mais fasciné par cet univers un rien mystérieux ? Découvrez à la bibliothèque universitaire Rockefeller de Lyon 8e l’extraordinaire collection
de carnets du professeur Lacassagne, médecin légiste à Lyon et pionnier de la criminologie qui a réuni en son temps des dizaines de reproductions de tatouages du XIXe siècle. « À l’époque, la peau était incisée à l’aide d’une aiguille de cactus ou de la pointe d’un couteau, avant d’être marquée à l’encre de Chine, de charbon ou de couleurs obtenues en broyant des insectes. On désinfectait ensuite à l’urine », rapportait il y a quelques mois l’historienne lyonnaise Muriel Salle, interrogée par France 3. De quoi apprécier les conditions ultra hygiéniques des salons de tatouage modernes.
Tatoueur depuis 25 ans, il a fondé à Lyon le salon 681 Tattoos et la Convention de tatouage internationale, The Ink Factory.
Comment The Ink Factory est devenu un tel événement de référence ?
« Après avoir passé pas mal d’années sur la route et énormément voyagé, j’ai rencontré des artistes dans le monde entier et j’ai eu envie de créer un événement international pour la scène lyonnaise. Une convention comme celle-là permet aux locaux de se faire tatouer ou de rencontrer des tatoueurs auxquels ils n’auraient pas accès autrement. Avec 350 tatoueurs attendus cette année, c’est devenu l’un des plus grands salons de France. Mais attention, on ne prend pas tout le monde, il y a une présélection et on travaille étroitement avec l’ARS (Agence régionale de santé, NDLR) pour que ce soit rassurant pour tout le monde. Ce sont des artistes de très haut niveau avec un mélange de tous les univers et de tous les styles : couleur, noir et blanc, traditionnel, néotraditionnel, japonais, graphisme, réalisme, etc. On fait aussi attention à représenter le maximum de pays car chacun a sa tendance. »
Y a-t-il un style lyonnais ?
« Oui. On observe un penchant pour le graphisme noir, typique de l’École Émile-Cohl dont beaucoup de tatoueurs sont issus. En France, il y a longtemps eu un style BD, graffiti, appelé d’ailleurs “frenchy style” ! Lyon prend une belle place dans le monde du tatouage avec de plus en plus d’artistes reconnus, je suis très content et très fier de ça. La ville est prisée des jeunes artistes car elle est agréable à vivre et très culturelle. Elle est presque devenue “à la mode”, artistiquement parlant. »
Il semble y avoir une très forte démocratisation de cette pratique. Comment la culture du tatouage a-t-elle évolué à vos yeux ?
« Le tatouage évolue depuis des milliers d’années, mais il a connu à partir de 2008-2010 un très fort engouement médiatique. Il y a 50 ans, c’était davantage pour les puristes, on sentait une forme de stigmatisation et cette idée que le tatouage n’est pas fait pour tout le monde. Ça a fini par vraiment s’ouvrir. Pour autant, peu de gens le comprennent, mais le cœur de métier n’a pas changé : ça reste toujours un artiste avec une machine et des aiguilles qui injecte de l’encre sous la peau et fait de jolis dessins. En revanche, les styles et les courants se renouvellent de plus en plus vite, tous les deux ou trois ans. Les gens sont également plus regardants sur la relation entretenue avec leur artiste tatoueur, ce qui est une bonne chose. Un tatouage reste à vie, il faut que ça soit réfléchi et il faut trouver la bonne personne pour le réaliser. »
Elle nous reçoit dans son petit salon-cocon de la Croix-Rousse aux murs vert amande, avec café fumant et chouquettes encore chaudes. Pour Pascale Guinet, alias Ginger Hell, l’accueil, c’est important. Et pour cause : une bonne partie de celles qui poussent sa porte ont traversé l’épreuve douloureuse d’un cancer du sein. « Je suis la cerise sur le gâteau, comme un cadeau qu’elles s’offrent. Elles viennent chez moi comme elles iraient au spa », observe-t-elle. À 50 ans, cette ex-artiste plasticienne aux yeux rieurs s’épanouit dans sa nouvelle vie de tatoueuse. Au fil des années, elle a développé une spécialité dans la reconstruction mammaire, qui consiste à reproduire une aréole avec une illusion de 3D grâce à des nuances d’encres colorées. Pascale Guinet travaille en étroite collaboration avec les médecins qui donnent leur aval au minimum un an après la chirurgie et la recommandent auprès de leurs patientes. « La reconstruction permet de tourner la page. Elles se l’approprient tellement qu’elles finissent par l’oublier et ne plus voir de différence quand elles se regardent dans le miroir », assure-t-elle. Pour ce type de prestation, la tatoueuse aime « prendre le temps », avec une séance d’au moins deux heures. Il faut compter 150 euros pour recouvrir une petite cicatrice et 500 euros pour recréer complètement une aréole, retouches incluses.
STUDIO GINGER HELL TATTOOL’entrée de son salon, La Sirène à Deux Têtes, se fait par une petite boutique. On y trouve des fanzines, des vêtements, des céramiques, des affiches sérigraphiées et tout un tas de trésors colorés. C’est ici qu’Édith Lake tatoue depuis qu’elle a ouvert le lieu, en 2020, avec quatre autres artistes. Passée par les Beaux-Arts, elle exerce depuis 12 ans et nourrit un style proche de la gravure et du carnet de voyage. « Mes inspirations viennent beaucoup de vieux bouquins ou d’estampes de la faune et de la flore. J’ai aussi été dans un courant un peu magique, avec la volonté de ramener du sacré, de l’intuition au tattoo et je reste proche de cet univers », détaille-t-elle, accoudée à la table où s’allongent habituellement ses clients. Des fleurs, des oiseaux, des rivières, des créatures… La nature irrigue ses dessins, autant que son engagement, pour faire évoluer le monde du tatouage.
Peu convaincue par ses premières expériences « avec un côté misogyne, parfois dur » et « pas assez artistique » à son goût, elle se forme dans des festivals punk alternatifs et féministes. « Il y a cinq ans, il y a eu une explosion du tattoo, notamment chez les femmes, avec cette volonté de disposer de leur corps librement. Dans ces événements, en mixité choisie, j’ai trouvé une douceur de l’apprentissage et de la transmission. Ça m’a donné envie de monter un petit lieu dans une dynamique associative et collective », explique-t-elle. Pari gagné: La Sirène ne désemplit pas.
Invité dans la plupart des grandes conventions françaises, le tatoueur de 39 ans fait partie de ceux qui comptent dans le milieu et pas seulement à Lyon, puisqu’il reçoit depuis plus de 16 ans des clients qui viennent parfois de l’autre côté de l’Atlantique. À l’origine de son succès ? Un dodo. Cet oiseau de l’île Maurice, éteint depuis la fin du XVIIe siècle, a inspiré le tatoueur pour l’un de ses flashs et sa réalisation minutieuse a cartonné sur les réseaux sociaux. Originaire de Paris, il a d’abord sillonné la planète et écumé les salons pour apprendre son métier, à la manière d’un artisan. Un terme auquel il est tout aussi attaché que celui d’artiste lorsque l’on parle de tatouage. « Pour l’amour du métier et la longévité. On est dans un moment pas simple, le milieu est devenu trop saturé », déplore-t-il. Sa technique irréprochable et la précision de ses grandes pièces empreintes de l’iconographie des ouvrages botaniques lui valent aujourd’hui une jolie renommée et lui ont permis d’ouvrir sa propre boutique. Quant aux oiseaux, il a pris goût à les observer dans la nature, jusqu’à devenir un fervent soutien de la LPO, la Ligue pour la protection des oiseaux.
AUGUSTA ROSA TATTOO SHOP