Lyon, follement drôle ?
Avec ses dizaines de cafés-théâtres, ses soirées comedy club à tous les coins de rue et sa longue liste d’humoristes made in Lyon, la capitale des Gaules fait partie des villes qui comptent pour rire et faire rire. Et ça, ce n’est pas de la blague.
Par Mathilde Beaugé
Au milieu de l’hiver et de l’actualité morose, il existe un refuge : les blagues. Pas une semaine ne se passe à Lyon sans avoir la possibilité de rire à gorge déployée, dans la petite cave d’un bar, installé dans un comedy club ou une vaste salle de spectacle. Réputée pour sa culture des cafés-théâtres et son vivier de talents, la ville vibre au rythme d’un univers du stand-up foisonnant et engagé, incarné par une communauté d’humoristes amoureux de la scène. Depuis les débuts de Florence Foresti dans les années 1990, devenue une figure incontournable du milieu, le paysage de la vanne s’est même largement déployé.
Premier public
Parmi les temples historiques du rire, impossible de passer à côté du Complexe (Lyon 1er), du Boui Boui ou de L’Espace Gerson (Lyon 5e), sans oublier Le Speaker (Lyon 1er), Le Dikkenek (Lyon 4e) ou encore le Graines de Star (Villeurbanne). C’est ici que les humoristes en herbe viennent valider, en public, ce talent qui semble si simple mais qui nécessite pourtant un travail fou : être drôle. « On ne se rend pas compte, mais c’est complètement dingue de faire ça. Il faut faire marrer les gens tous les soirs, même les jours où ça ne va pas », pointe Lucas Hueso, Lyonnais de 25 ans, habitué des plateaux (lire son portrait ci-dessous).
Pour se lancer, il faut d’abord prendre le micro 5 minutes, puis 15, sauter dans le bain au Nombril du Monde ou dans une soirée Blue Comedy à La Grooverie, à côté d’autres humoristes. Le concours national Kandidator s’est aussi fait une belle place à Lyon et permet aux artistes de trouver leur premier public. C’est le chemin qu’a pris François Mallet, de ses sketchs remportés à l’applaudimètre jusqu’à la création d’un spectacle d’une heure, Follement sensible, qu’il a joué au Boui Boui plus de 400 fois avant de l’exporter à Paris. À 31 ans, l’auteur de la série Insolents – réalisée dans les pentes de la Croix-Rousse – perce aujourd’hui sur scène comme en littérature avec ses thématiques liées à la santé mentale et ses ébouriffantes chorégraphies d’ancien patineur.
On ne se rend pas compte, mais c’est complètement dingue de faire ça. Il faut faire marrer les gens tous les soirs, même les jours où ça ne va pas
De Foresti à la communauté
« Il y a un truc rigolo à Lyon, c’est que, dès que tu pousses la porte d’un lieu d’humour, on te dit que Florence Foresti ou Laurent Gerra a commencé là, et personne n’est d’accord », se souvient-il quand on l’interroge sur ses débuts. À ses yeux, par son histoire, Lyon s’est imposée comme une véritable référence pour l’humour, devant Marseille ou Toulouse… mais derrière les réseaux sociaux. La problématique est universelle : aujourd’hui, difficile de faire entendre sa voix sans un nombre conséquent de followers. Une dynamique qui pousse certains à développer des pastilles sur Instagram ou TikTok, mais aussi à se fédérer. « À Lyon, il y a une vraie communauté, comme un “espace maison” où l’on s’entend vraiment bien », confie Chloé Drouet. Comme dans une grande colocation, s’y retrouvent toutes les sous-cultures de l’humour lyonnais : le stand-up pur, représenté avec brio par Yanisse Kebbab ou Bamba ; le seul en scène, avec Thaïs Vauquières ou Alex Ramires en tête de file ; l’absurde, divinement incarné par Charlotte Creyx ; et même un genre éphémère à part entière, le spectacle de femme enceinte par Élodie Arnould qui a fait la couverture de notre numéro 11. Si Lyon a la réputation d’être un public difficile – « un jour j’ai dû les traiter de vieux pour qu’ils se réveillent », se marre Morgane Berling –, on peut dire que la ville a l'embarras du choix pour se poiler le samedi soir.
Trois questions à Armony Yvart
Passée par le cours Florent, le management hospitalier et les cours dans des centres sociaux, Armony Yvart est aujourd’hui la programmatrice du Complexe depuis près de quatre ans. Elle sillonne les comedy clubs de Lyon, de Paris, de la Suisse et de la Belgique pour dénicher des talents.
Qu’est-ce qui vous fait craquer sur quelqu’un que vous découvrez sur scène ?
« Le physique (rires) ! Non, bien sûr, c’est très subjectif. J’observe l’aisance, l’originalité du texte, la pertinence. Il y a aussi des trucs rédhibitoires : ce qu’on qualifie d’humour noir peut souvent déborder sur des propos racistes ou homophobes, et ça, c’est impossible. Une fois, le plateau d’un type m’a filé des sueurs pendant 15 minutes. J’aime la sensation de voir quelqu’un sur scène qui raconte une histoire comme si c’était la première fois. Yanisse Kebabb représente ça très bien : je peux entendre 50 fois sa vanne, j’ai toujours l’impression qu’il la raconte pour la première fois à ses potes au quartier. Ce qui me plaît c’est quand un truc sort du lot, que je prends une claque par surprise en me disant “p**** ! j’aurais aimé écrire ça”.
Comment peut-on être encore original aujourd’hui ? Parler de soi, être introspectif, ça marche toujours ?
Il y a un rapport particulier à l’actualité. Aller au Paname Art Café à Paris le lendemain de la démission de Lecornu, ça veut dire entendre 7 humoristes sur 10 qui vont parler de ça. Dans le format du spectacle, chaque vie est unique, donc forcément, il est plus facile d’être original en racontant son vécu. Ce qui différencie les humoristes, c’est la qualité de l’écriture. Les gens qui prennent un soin particulier à bien écrire leurs blagues, à les changer quand un mot ne va pas au bon endroit, sont plus originaux. C’est le travail qui change tout.
Remarquez-vous une forme d’humour lyonnais ?
Oui. Lucas Hueso ou Kacem Delafontaine l’incarnent vraiment. Comme l’humour marseillais ou belge, il y a une espèce de fierté lyonnaise. Kacem raconte la culture du funk, Lucas fait des blagues sur l’aéroport ou le quartier de la Guillotière. Pour s’exporter, en revanche, il faut être capable de développer sa vanne. Lyon est aussi la ville où il est le plus facile d’avoir un spectacle entier. À Paris, il faut en moyenne 5 ans pour avoir son spectacle ; à Lyon ça se joue seulement entre 1 et 2 ans. Au Boui Boui par exemple, on peut vite se retrouver à jouer 5 fois par semaine son spectacle entier. L’humour ici se passe plus facilement de la logique d’efficacité par rapport à d’autres villes. Or, en une heure et pas juste 5 ou 15 minutes, le propos a le temps d’être développé. »
Portraits
Morgane Berling, entre deux rires
Au départ, Morgane voulait être vétérinaire. « Pour faire plaisir à mon père », sourit-elle en avalant son expresso quelques heures avant de monter sur scène. À 24 ans, la Croix-Roussienne biberonnée aux films de Pierre Richard et aux sketchs de Foresti a finalement choisi l’humour et déjà bien roulé sa bosse sur les plateaux lyonnais. Quand on l’a vue à ses débuts, au Boui Boui, en janvier 2023, son spectacle ne portait pas encore de nom. Silhouette frêle, tignasse blonde, immenses yeux bleus, autodérision à la pelle : un personnage était né. Son créneau ? « L’adulescence », ce moment charnière où il s’agit de devenir adulte, de comprendre que l’eau, ça se paye, ou de se faire refuser l’achat d’une bouteille de Prosecco au supermarché alors qu’on est majeure depuis longtemps. Elle parle aux vingtenaires mais aussi à leurs parents, et à tous ceux qui se sentent entre deux âges. « Quand j’irai bruncher le dimanche matin et que je paierai des impôts, je ferai un autre spectacle », annonce-t-elle. Pour l’heure, son seul en scène Quand je serai grande tourne un peu partout, d’Avignon au Palais de la Mutualité (Lyon 3e) en passant par la Belgique, Paris, Montélimar ou Strasbourg.
Instagram : @morgane.brlg
Chloé Drouet, l’humour dans la peau
Elle déteste Jean-Marie Bigard, mais le cite quand même : « Quand je suis sorti de ma mère, mon premier réflexe n’a pas été de pleurer. J’ai été obligé de la faire rire pour qu’elle me garde. » L’origine de la vocation de Chloé Drouet est un peu la même puisqu’il s’agissait de faire rire sa maman pour tenir la dépression à distance. Ado, elle tient des cahiers remplis de blagues, qu’elle reprend une fois que le Covid a tout ravagé sur son passage. En les lisant, l’humoriste Yacine Belhousse la pousse à en faire du stand-up. Une semaine plus tard, en octobre 2021, elle monte sur scène pour la première fois, au Toï Toï, pour ne plus en redescendre. « Mon personnage, c’est un chanteur de hardcore avec un enfant qui joue du saxo à l’intérieur », résume celle qui tire son inspiration de Fanny Ruwet ou Blanche Gardin. Ancienne gothique, Chloé est devenue à 37 ans l’une des figures de l’humour lyonnais, grande gueule, tatouages partout et voix un peu rauque. «J’assume mon énergie masculine. Quand j’arrive, je suis un pélo sur scène. » Pour elle, le rire est un mécanisme de défense, comme une manière de répondre à la sidération. Elle tisse dans son spectacle les problèmes de société avec sa vie à elle, à la fois « politique et chipie ». Elle signe, avec Chloé Fucking Drouet, son premier spectacle et milite pour une meilleure représentation des femmes sur scène. On la croise à Paris au Bo Saint-Martin ou à Lyon, au Dikkenek, au Speaker ou au Complexe.
Instagram @chloe.drouet
Lucas Hueso, star locale
Lorsqu’on demande dans le milieu s’il existe un humour typiquement lyonnais, c’est son nom qui sort en premier. Il faut dire que Lucas Hueso est un pur gone : né en 1999 à Pierre-Bénite, il a grandi à Saint-Genis-Laval et vit aujourd’hui dans les Pentes. « Pour beaucoup, Lyon est un tremplin, mais c’est plus valorisant pour moi de construire quelque chose dans la ville que j’aime. Là où je me sens le mieux sur Terre, c’est ici », pose-t-il sans détour. Il tient pourtant son aisance sur scène de l’École nationale de l’humour, une formation de deux ans pour laquelle il s’est envolé à Montréal à l’âge de 18 ans. Le jeune humoriste y a appris le métier, son histoire et ses stratégies, avant de rentrer à Lyon. « Au Québec, il faisait trop froid, et ici, il y avait tellement tout à faire », retrace-t-il. Avec sa casquette Pelo Sport vissée sur la tête, son large sweat à capuche et son flow dans la voix, Lucas Hueso emprunte aux codes du rap pour construire un personnage de pur stand-upper. « J’ai besoin d’un micro, d’une lumière et de rien d’autre. C’est direct, ça me plaît. » Il passe par Gerson, le Boui Boui puis une première partie de Bun Hay Mean qui le propulse auprès de ceux qui comptent.
Son rêve ? Amener le stand-up au cœur des institutions lyonnaises, à commencer par le théâtre des Célestins. Avec passion, patience et précision, Lucas travaille les vannes de son spectacle chaque semaine aux Tontons Flingueurs, bien décidé à faire de Lyon une ville de premier choix pour sa discipline.
Instagram @lucashuesofr