Dossier Dossier

Lyon, nouvelle terre de café

Grains de café - Loutsa
Publié le 25/11/2022

Avec des notes plus singulières, le café dit de spécialité, torréfié de manière artisanale, à partir des grains de petits producteurs soigneusement sélectionnés, a conquis le cœur et les tasses des Lyonnaises et des Lyonnais en quelques années seulement. Reportage.

Depuis la rue, l’odeur de café vient réveiller les papilles des passants. À l’intérieur de la boutique, une imposante machine rouge. Les grains verts en provenance directe d’Éthiopie sont versés dans la cuve, les fèves sèchent quelques instants avant de cuire à plus de 200 degrés. Peu à peu, les arômes se développent jusqu’à faire exploser les fèves. La torréfaction est terminée et les petites graines ressortent, légèrement caramélisées, prêtes à être utilisées. Ce processus de torréfaction, quelque peu bruyant, était autrefois caché des consommateurs. Aujourd’hui, dans un souci de transparence et d’authenticité, il s’affiche fièrement chez Loutsa, mais aussi chez 69 Nuances de Cafés ou Torréfaction Papillons (voir en fin d'article).

Les pionniers

Dans leur tout petit café de la rue des Capucins, au bas des Pentes de la Croix-Rousse, Sadry Abidi et son épouse, Rosamund Morris James, créateurs de Mokxa, ont été les premiers à proposer du café de spécialité. Nous sommes alors en 2011. Dans leur micro coffeeshop, ils torréfient eux-mêmes les cafés qu’ils proposent laissant la possibilité aux clients de déguster sur place, à l’intérieur (12 places seulement) ou en terrasse. Succès immédiat. On se presse pour boire ce nectar qui dénote complètement. Petit à petit, le torréfacteur grandit, propose ses cafés ensachés à emporter et commence à fournir les restaurateurs et les bars. La machine était lancée. Aujourd’hui, ils sont une quarantaine à maîtriser ce savoir-faire artisanal, dans tous les arrondissements de Lyon, parmi lesquels Signé Extrait, Gonéo, Bongoo Café, Rakwé, Label(le) Brûlerie ou Loutsa. Tous proposent du café de spécialité, c’est-à-dire un café haut de gamme, noble, au profil aromatique complexe, généralement de l’arabica de catégorie 1, cultivé à plus de 1 200 mètres d’altitude.
Pour se démarquer, les torréfacteurs insistent sur la provenance de leurs grains, le café étant un produit de terroir qui puise ses arômes dans la terre dans laquelle il pousse. Là où le savoir-faire de chaque maison de torréfaction intervient, après la sélection des grains, c’est dans la manière de sécher et de torréfier les fèves. Car avec un seul grain de café, on peut développer jusqu’à 1000 arômes !

À chacun son café

Fort de ce constat, Guillaume Langloy a créé Loutsa en 2018. Son objectif : convaincre les Lyonnaises et les Lyonnais que le café n’est pas « une boisson bien noire et amère ». «En réalité, il y a plus de variétés de café que de cépages dans le vin, explique l’entrepreneur. Il existe du café épicé, floral, fruité, boisé et même du naturellement sucré. Et tout l’art des torréfacteurs est de faire ressortir cette palette degoûts. » Pour le moment, le Lyonnais en propose une douzaine. Tout comme Mokxa ou Gonéo. Chez Voisin, 25 cafés sont proposés. « Tous ont une personnalité différente et l’idée est d’avoir la palette la plus large possible pour pouvoir satisfaire tous les goûts », expliquent Romain et Franck Boucaud.

«D’une manière générale, le café lyonnais n’a rien à voir avec celui des Italiens, glisse Guillaume Langloy. Leur spécialité est de brûler le grain et donc de faire des cafés très amers. Chez nous, on va plutôt aller chercher les notes acidulées et fruitées. » Pour garder un maximum de saveurs, les grains doivent être vendus dans les deux mois suivant la torréfaction. On parle de deux ans pour les cafés de grandes surfaces. Le goût du café variera encore par la suite, en fonction de la méthode d’extraction choisie : filtre ou expresso. « Le café est grandement meilleur s’il est moulu au dernier moment », soulignent Romain et Franck Boucaud. On le sait peu, mais un petit noir n’aura pas la même couleur ni le même goût dans une tasse en verre ou en porcelaine. Le contenant choisi a donc toute son importance.

Loutsa - La torréfaction  © Loutsa

Retour du "consom’acteur"

Si le café a gagné ses lettres de noblesse, il n’est pas pour autant réservé à une élite. Dans les boutiques et les cafés, un public hétéroclite se croise et se fait conseiller par de véritables "sommeliers" du café. Nombre de nouveaux amateurs de "l’or noir" ont (re)découvert le café à l’aune des confinements. « Les ventes ont explosé à ce moment-là », s’accordent à dire les torréfacteurs. La maison Voisin analyse cette période comme « un point de rendez-vous avec une nouvelle clientèle. Il y a eu une vraie volonté de revenir à un commerce de proximité, à de l’artisanat local et à des produits premium qui ont une histoire et une vraie traçabilité. Les gens ne se satisfont plus d’un produit standard. Alors, notre café made in Lyon depuis 1897 a séduit ces nouveaux “consom’acteurs” ». Le torréfacteur est en quelque sorte devenu le nouveau caviste de quartier. Et le développement des machines à grains a également poussé les ventes, même si certains aficionados sont revenus... au moulin à café ! « Ça a un côté très ludique et c’est même devenu un rituel pour certains de moudre leur café avant de le préparer », explique Guillaume Langloy.

Dans les entreprises aussi, le phénomène s’amplifie. Exit les machines à café et gobelets en plastique. Bienvenue aux machines à café et aux produits locaux. « Il y a de plus en plus de demandes », souligne la maison Voisin, torréfacteur historique de Lyon : « La machine à café est un lieu clé et le fait de proposer un produit premium, torréfié localement fait partie des nouvelles valeurs prônées par les entreprises. »

Le plus des restaurateurs

La soif des Lyonnais est telle aujourd’hui que Loutsa écoule une tonne de café par semaine, et Voisin, 150 tonnes par an. Et cet engouement est aussi notable dans les restaurants où la marque du café figure désormais à la carte. Claude Barbet, à
Vourles, propose par exemple un café issu d’une torréfaction sur mesure réalisée spécifiquement pour son restaurant par Loutsa.
Gonéo, fournisseur de plus de 400 établissements à Lyon et dans la région, a ouvert dernièrement une boutique rue
Grenette pour faire découvrir en direct ses cafés aux Lyonnais. Certains établissements, comme Kaova Café, à Lyon 7e, ont même inclus la torréfaction dans leur concept.

Quand Pascal Roussin et Florian Kleffer ont décidé d’ouvrir leur salon de thé, il n’était pas question de proposer un breuvage torréfié ailleurs. Pascal Roussin s’est formé pendant plusieurs mois et propose désormais huit saveurs différentes pour accompagner les pâtisseries maison réalisées quotidiennement par Florian Kleffer.

La Chemex, cafetière à filtration lente  © Loutsa

Une professionnalisation des cafetiers

Avec la passion grandissante des consommateurs, une nouvelle profession a émergé : les baristas.
Comme les mixologues dans le monde du cocktail, ces derniers sont spécialisés dans la préparation des boissons à base de café : cappuccino, latte macchiato, moccaccino... et de nouvelles techniques de le préparer sont apparues. Exemple avec la Chemex, une cafetière à filtre en verre en forme de sablier qui permet une méthode lente de filtration.
Ou avec la recette du cold brew, une méthode d’infusion du café moulu à froid pendant plusieurs heures pour en extraire toutes les saveurs. De quoi séduire un peu plus encore les palais lyonnais.

Hugues Chazotte, fondateur de Gonéo © VL

Trois questions à Hélène Le Corre

Cofondatrice de la torréfaction Label(le) Brûlerie à Villeurbanne 

Comment êtes-vous tombée dans le café ?

Nous sommes quatre filles et nos histoires sont toutes un peu différentes. Pour ma part, je travaillais dans les relations internationales et j’ai pas mal voyagé dans des pays producteurs de café. Ce qui nous a toutes beaucoup intéressées, c’est l’aspect filière. Nous voulions avoir une maîtrise totale et une traçabilité de l’arbre à la tasse, avec un sourcing responsable. Nous faisons partie d’une coopérative de torréfacteurs internationaux, Roasters United. Nous fonctionnons comme une Amap en achetant de manière groupée auprès d’une dizaine de coopératives, en respectant le cahier des charges du commerce équitable. Nous allons sur le terrain, nous connaissons nos producteurs et avons noué des relations de proximité avec eux.

Comment décrire la scène du café à Lyon ?

Elle bouge beaucoup ! Le marché se développe énormément. Les gens veulent savoir ce qu’ils consomment, revenir à des savoir-faire artisanaux et sont prêts à dépenser un peu plus pour des produits de qualité. Plein de nouveaux acteurs vont continuer à arriver dans les prochaines années, en café bio mais pas uniquement. La majorité des gens achète encore son café au supermarché, il reste beaucoup à faire !

Une adresse pour boire un bon café ?

À Villeurbanne, chez Folks, un petit coffee shop très sympa vers l’hôtel de ville. Je citerais aussi Okara dans le 7e arrondissement, place Jules-Guesde. Le lieu est tenu par des filles très sympas, avec un bon petit menu et un café très bien servi.

Pour aller plus loin : 
Pour un atelier d’initiation à la torréfaction les mercredis uniquement, RDV sur wecandoo.fr.

Café des familles

Chez les Callegher, le café est une histoire de famille.
En 1987, Patrick est l’un des premiers à s’installer à Lyon, à la Croix-Rousse. À l’époque, le métier de torréfacteur est encore assez marginal. Ses trois enfants, Gaël, Audrey et Maureen, ont repris le flambeau et veillent désormais au grain sur les recettes historiques de la maison. Visite sur demande. 
De 3,7 € à 9,9 € le paquet de 250 g – 5,5 € en bio.

Petit noir au féminin

Dans son atelier-boutique à Vaise, Charlotte Robert torréfie sur place des cafés de spécialité qui ont la particularité d’être produits uniquement par des femmes. Elle propose également une quarantaine de thés et tisanes. Et des chocolats.
À partir de 8,50 € les 250 g.

Travailler au café

Chez Rakwé, coffee shop et coworking, Élias Sfeir ne se voyait pas servir autre chose que du café de spécialité torréfié par ses soins. Depuis 2017, il travaille donc en direct avec des producteurs du monde entier pour développer de nouveaux procédés d’extraction. En ce moment, un café colombien en macération carbonique, une technique inspirée de ce qui se fait dans le vin.
Son breuvage préféré? Un café à la cardamome verte, comme le veut la tradition libanaise.
En itinérance sur les marchés des quais Saint-Antoine et Augagneur.