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Lyon, hors des cases

Laurence Papoutchian
Par Marie
Publié le 02/06/2025

On l'ignore souvent, mais Lyon et la bande dessinée ont un lien privilégié depuis la première moitié du XXe siècle. Un passé qui explique en partie la vitalité actuelle de la BD à Lyon, capitale des bulles où se concentrent écoles, librairies et événements dédiés.

Il est loin le temps où on lisait ses bandes dessinées sous le manteau! Depuis 2021, la BD occupe en effet la deuxième place des ventes de livres en France, juste derrière la littérature générale(1). Si les ventes ont toutefois reculé par rapport à 2023 (-9 %), elles restent bien supérieures à celles de 2019 (+41 %). Côté BD jeunesse, c’est Mortelle Adèle qui rafle tout avec sa mauvaise humeur et 19 % des ventes du secteur. Un personnage dessiné depuis 2014 par Diane Le Feyer qui est lyonnaise! Un hasard? Pas vraiment.

Terre d’auteurs et d’autrices

La capitale des Gaules tient en effet une place particulière dans l’histoire du 9e art. Elle a même été, après la Seconde Guerre mondiale, la capitale du « petit format », un genre de fascicule dessiné vendu en kiosque. En 1946, Pierre Mouchot fonde sa maison d’édition et publie une revue du nom de Fantax, le personnage costumé le plus connu de son époque, imaginé avec Marcel Navarro. Un peu plus tard, en 1950, ce dernier crée à son tour sa maison, les éditions Lug. Il sera le premier à introduire en France les super-héros Marvel. À sa suite, bien d’autres structures, comme les éditions des Remparts ou Impéria, se lancent dans l’aventure de la bande dessinée. 

Les goûts évoluant, le petit format tire sa révérence dans les années 1980, ce qui n’empêche pas Lyon de rester profondément bédéphile. Expérience, la plus ancienne librairie de BD de la ville, a ainsi été créée en 1973 par Adrienne Krikorian. Lorsqu’elle prend sa retraite, en 2000, elle la laisse entre les mains d’une poignée de passionnés, dont Jonathan: « À l’époque, la spécialisation n’était pas commune et beaucoup de clients venaient de toute la région pour se fournir en BD. Des étudiants d’école d’art venaient de Saint-Étienne passer l’après-midi à la librairie, faire le plein et repartir dans l’autre sens ! » À Expérience, on ne lit pas que dans les livres : il suffit de lever les yeux pour admirer les dessins d’auteurs et d’autrices laissés au fil des ans et des dédicaces sur place ! Mieux, la librairie a longtemps publié Projet Bermuda, un ouvrage collectif permettant de présenter les nouveaux talents de l’agglomération. « Nous sommes très fiers d’avoir porté 12 volumes de ce projet. C’était une sorte de CV collectif qui a permis à quelques jeunes artistes locaux de signer des contrats », explique Jonathan. Des bédéistes installés en nombre dans la métropole. Non pas à cause de la gastronomie, même si Guillaume Long, auteur lyonnais de la fameuse série À  boire et à manger trouverait sans 
doute à redire, mais grâce à la présence d’écoles d’art réputées, comme l’École Émile-Cohl. Créé en  1984, l’établissement – qui fête ses 40 ans tout au long de l’année 2025 –, a toujours intégré la 
bande dessinée à ses programmes formant des « Cohliens », comme Diane Le Feyer, Fred Bernard – qui a sorti l’année dernière l’adaptation de La Vie secrète des arbres –, Florence Dupré la Tour et 
ses brillantes BD autobiographiques, ou encore Théo Grosjean et sa savoureuse série Elliot au collège.

D’une bulle à l’autre

Temps fort incontournable de l’année, le festival Lyon  BD, organisé depuis 20 éditions, sera de retour les 13, 14, et 15 juin 2025(2) renouant avec ce qui fait son ADN depuis sa création: la découverte. Des albums venus du Québec, du Brésil et du Liban seront ainsi présentés au public lyonnais, complétés d’une programmation autour de la BD jeunesse incluant une exposition de Lucas Méthé. 

Juin passé, continuez facilement de buller dans les rayons des bibliothèques de la métropole et des nombreuses librairies spécialisées que compte le territoire. Iris Munsch, directrice artistique de Lyon BD, souligne notre chance: « Lyon est la ville qui compte le plus de librairies de BD au kilomètre carré! » 

On ne saurait toutefois parler de BD sans évoquer l’une des évolutions majeures du métier : 
les réseaux sociaux. La néo-Lyonnaise Noémie Fachan, alias Maedusa sur Instagram où quelque 122 000 personnes la suivent, est une autrice engagée. C’est « contre toute attente », comme elle le dit elle-même, que ses réinterprétations dessinées et féministes de la mythologie grecque ont trouvé leur audience. Une maison d’édition la repère rapidement et lui propose de publier sa première bande dessinée. Son 4e album, La Voix des harpies, vient tout juste de sortir sans pour autant apaiser ses craintes : « Instagram (…) a changé ma vie ! Mais, en même temps, je suis consciente de la fragilité de ce que j’ai construit. Sans ma communauté, suis-je toujours une autrice que les maisons d’édition veulent publier? » Vaste question. Reste que le meilleur moyen de soutenir les auteurs et les autrices c’est encore de les lire. En librairie, en médiathèque et dans les festivals : vive la bande dessinée ! 

(1) Tous les chiffres cités proviennent de l’étude de l’Institut NielsenIQ GFK publiée le 30 janvier 2025.
(2) Le mois de juin, à Lyon, est traditionnellement celui de la BD. Rencontres, dédicaces, ateliers : retrouvez tout le programme sur lyonbd.com

Trois questions à KiWeen

MEMBRE DE L’ÉPICERIE SÉQUENTIELLE ET AUTRICE DE BD LYONNAISE

L’Épicerie Séquentielle, installée au Collège Graphique dans le 1er arrondissement de Lyon, est une association d’auteurs et d’autrices de bande dessinée lyonnais. Comment cela a-t-il commencé ?

« L’Épicerie Séquentielle a été créée en 2004. Tout est parti d’un constat : les fondateurs s’étaient rendu compte en festival, un peu partout en France, qu’ils rencontraient souvent des auteurs et des autrices qu’ils ne connaissaient pas : “D’où tu viens ? — Je suis de Lyon. — Ah ! ben, moi aussi !” C’était tout de même dommage pour une ville comme Lyon qui bénéficie d’un tissu hyper vivant au niveau de la BD ! L’objectif premier de L’Épicerie Séquentielle était donc de permettre à ces personnes qui vivaient dans leurs caves et leurs greniers de se rencontrer et de s’entraider. »

Les Rues de Lyon sont ensuite arrivées…

« L’Épicerie Séquentielle a une activité d’autoédition collaborative et participative. En 2015, elle a commencé à publier Les Rues de Lyon. Ce journal propose chaque mois un récit complet de dix pages réalisé par des artistes lyonnais autour d’une histoire de Lyon. De la bande dessinée écrite, 
dessinée, éditée et imprimée localement et équitablement. Cela permet d’avoir une production plus rentable pour les auteurs et les autrices. Dans l’édition classique, les droits d’auteur s’élèvent en général à 8 %. Avec Les Rues de Lyon, c’est 33 %. »

epiceriesequentielle.com

Portraits

Anjale, bédéiste « réulyonnaise »

Née à La Réunion, Anjale arrive à Lyon en 2009 pour faire ses études à l’École Émile-Cohl. Elle rejoint rapidement L’Épicerie Séquentielle, « au début plutôt pour rencontrer des auteurs et des autrices de BD de la région», avant de dessiner elle-même dans Les Rues de Lyon. Son dernier album? Outre Mères, scénarisé par Sophie Adriansen. L’histoire vraie du scandale de milliers d’avortements forcés à La Réunion dans les années 1970 alors que, dans l’Hexagone, l’avortement était encore
illégal. En parallèle, Anjale quitte parfois son atelier villeurbannais, Vermillon, pour animer des ateliers BD. Celle qui faisait beaucoup de théâtre quand elle était adolescente participe également à des spectacles de dessin en direct. Ce qu’elle apprécie ? «Être plus en mouvement et apprendre à lâcher prise. En impro, il faut accepter de ne pas toujours pouvoir faire un dessin très joli. Le plus important, c’est ce qu’on raconte ! »

Instagram: @gaelanjale

Nicolas Badout, bédéiste cinéphile

Formé à l’École d’architecture de Montpellier après un bac en arts appliqués à La Martinière à Lyon, Nicolas Badout a travaillé quelques années en cabinet d’architecture et dans l’urbanisme avant de se consacrer totalement à l’illustration. L’Enfer, sa première BD inspirée du film maudit d’Henri-Georges Clouzot, vient tout juste d’être publiée. L’histoire ? « Shining dans le Cantal », résume-t-il. L’aventure n’a pas été de tout repos : six mois pour négocier les droits, puis place au dessin. « C’est un travail de solitaire, la BD. On est à sa table. On travaille des jours et des jours pendant plusieurs années sur ce projet que personne ne voit, comme un moine copiste. » Loin de s’être découragé, il ajoute : « Je ne sais pas quand, mais j’y reviendrai. » Heureusement, on aura la chance de recroiser rapidement le travail de Nicolas Badout, exposé à Lyon jusqu’au 21 juin dans son atelier L’Alcôve, puis à la rentrée au festival Airt de Famille. 

Instagram: @nicolas.badout

Isabelle Maroger, la BD de l’intime

Née à Montpellier, Isabelle Maroger est arrivée à Lyon pour étudier l’illustration à l’École Émile-Cohl et n’a jamais quitté la capitale des Gaules. Dans Lebensborn, elle raconte avec délicatesse et puissance l’histoire de sa mère, norvégienne, née pendant la Seconde Guerre mondiale dans un Lebensborn: l’une de ces maternités mises en place par le régime nazi pour faire naître le plus d’Aryens possible. Si beaucoup ont découvert son travail l’année dernière à la publication de ce roman graphique intime et historique, Isabelle Maroger est une autrice prolifique. De son trait vif et expressif, elle donne corps à l’héroïne espiègle de la BD jeunesse Grace, scénarisée par Marc Dubuisson (le 3e tome vient tout juste de sortir!). Elle ne craint pas non plus d’enfiler chapka et bottes de neige pour partir au Svalbard afin de nous faire découvrir en BD le plus petit renne du monde. Elle s’illustre également dans l’édition jeunesse et la presse.

Instagram: @isacile